Éducateur spécialisé pendant 20 ans avant de s’engager dans la formation des travailleurs sociaux et des enseignants à l’ESPE d’Alsace, Thierry Goguel d’Allondans est chercheur en socio-anthropologie de l’adolescence à l’université de Strasbourg.
Il est également rédacteur en chef de la revue Cultures & Sociétés.
Le 17 mars 2025, il est venu nous exposer le fruit de ses travaux sur la thématique notamment des rites de passage, des addictions et du suicide.
Bref rappel des recherches de TGA :
Lors de ses interventions au Congo en partenariat avec l’association « Mémoire de la terre et développement« , il a découvert et approfondi qu’il existait dans beaucoup de sociétés un rite de passage.
TGA est également intervenu dans le cadre de la protection juvénile dans le Gard auprès de jeunes délinquants ce qui lui a permis d’approfondir ses recherches sur le monde d’adolescence.
Depuis, il a axé son travail également sur la question du genre (transgenre/en questionnement de genre) ainsi que sur le syndrome anxieux et phobie scolaire (Strasbourg).
Pour TGA, il existe dans notre société un accroissement des syndromes anxieux. En parallèle, l’incertitude de l’avenir permet de nourrir les populismes.
La question des émotions
Métaphore des scientifiques : le « complexe du homard » notamment de Françoise Dolto présente la complexité de l’adolescent. Le homard, lors de sa mue, change de carapace, et se retrouve quelques temps sans carapace.
Les homards, quand ils changent de carapace, perdent d’abord l’ancienne et restent sans défense, le temps d’en fabriquer une nouvelle. Pendant ce temps-là, ils sont très en danger. Pour les adolescents, c’est un peu la même chose. Et fabriquer une nouvelle carapace coûte tant de larmes et de sueurs que c’est un peu comme si on la “suintait”. Dans les parages d’un homard sans protection, il y a presque toujours un congre qui guette, prêt à le dévorer. L’adolescence, c’est le drame du homard ! Notre congre à nous, c’est tout ce qui nous menace, à l’intérieur de soi et à l’extérieur, et à quoi bien souvent on ne pense pas.
La métaphore du caméléon : l’adolescent se fond dans le paysage. « L’adolescence change parce que les temps changent. »
Le syndrome du caméléon consiste à adopter les attitudes, les gestes et le langage de son environnement pour passer partout. Si bien que la personne caméléon adapte ses comportements en fonction de son interlocuteur pour s’intégrer et être apprécier.
Cette intégration fait adopter des formes variables et un spectre large dans le comportement de l’adolescent. Il prend parfoid des risques qui peuvent mettre en jeu son intégrité physique.
Les invariants anthropologiques : corps/mort/ rite de passage
- Le contexte:
Le corps en jeu : dans un corps post moderne. La question de la douleur n’existe plus réellement de nos jours avec l’utilisation des antalgiques. Nous sommes loin du diktat de l’époque: « Tu accoucheras et mourras dans la douleur. »
Le monde de l’identité a totalement changé, nous sommes arrivés à un individu absolu. Je suis moi. Je suis d’abord ce que je montre. C’est pourquoi de nos jours beaucoup font tout pour éviter le délit de facies.
Les comportements et le contexte actuel enclenchent une véritable tyrannie du look. De nos jours, les jeunes soignent leur look qui vont jusqu’au changement corporel avec une première étape notamment, celle du tatouage.
En parallèle, nous vivons dans une société de l’image de par les images un peu comme une société « saint thomale ». Croyez nous parce que l’on vous le montre. On en arrive à la dérive de la tyrannie de l’image.
Avec l’apparition des réseaux sociaux, l’usage du Happy slapping est très fréquent.
Happy slapping: (vidéolynchage ou vidéoagression) est une pratique consistant à filmer l’agression physique d’une personne. Le terme s’applique à des gestes d’intensité variable, de la simple vexation aux violences les plus graves, y compris les violences sexuelles. Le terme anglais, qui signifie littéralement « donner joyeusement des baffes » est un jeu de mots sur l’expression « slap-happy », qui dénote une attitude joyeuse et débonnaire.
Le harcèlement devient permanent est l’adolescent n’a plus de possibilité pour former une carapace.
Les conduites à risques sont genrées :
- le rapport au corps
Le garçon a un corps : démonstration, avoir un public, le plus beau le plus fort
La fille est un corps : introspection
- Rapport au signifiant mort
Pas envie de mourir et pas de conscience de pouvoir mourir. 60000 à 100000 tentatives en 1 an (500/1000 avérés)
Conduites ordaliques modernes : la dernière chance de pouvoir prouver son innocence. Risquer le tout pour le tout.
Besoin d’adrénaline : rompre la monotonie
- Rites intimes de passages, de contrebandes : on le fait en bande. Ne garantit aucune place sociale reconnue.
Epreuve pour vérifier à les capacités de devenir homme ou femme.
Par exemple au Soudan : l’enfant pour devenir adulte doit franchir une haie de personnes qui donnent des coups de bâtons.
Cap ou pas cap, jeux dangereux pour donner l’illusion de faire comme les grands. Le dernier en date est le défi du paracétamol.
Pour les éducateurs il est donc de plus important de faire prendre conscience de la prise de risque, d’éveiller les adolescents entre la conscience et l’imaginaire du risque.
Addictions
Problème de guerre sociale.
Certains amis dans une bande auront une fragilité à tomber dans l’addiction et d’autres non.
La fragilité est souvent dû au problème de lien et de place.
Pour se sortir des addictions Daniel Sibony préconise d’aller dans une secte. Dans les sectes ont retrouvent souvent d’anciennes personnes addictes mais parfois c’est la seule issue pour se sortir de l’addiction.
Ritualiser : mettre des formes car l’autre à une valeur à nos yeux. Mariage, naissance, anniversaire… « Intégrer dans le monde des vivants »
Temps profane et couper de moments extraordinaires du sacré.
3 temps : préliminaire, liminaire, postliminaire
Pré : Mort symbolique à l’enfance. Se séparer de la mère.
Liminaire : initiation. Entre deux. But d’intégration.
Post : fête, renaissance à l’âge adulte
Le seuil de tolérance chez les adolescents
Nous avons mis en place une grille de lecture que nous avons proposé aux élèves de REP+ dans les collèges de Strasbourg. Cet outils a été mis en place pour mesurer le seuil de tolérance des jeunes.
Il est composé de 35 questions OUI/NON . Pourrais-tu être ami avec….
Dans la globalité, 33 réponses étaient positives sauf les questions pourrais-tu être ami avec un homosexuel et un juif. Cela interroge…
TGA utilise également un outils méthodologique faisant intervenir 6 paramètres essentiels.
- l’environnement immédiat (NY, palais/HLM…)
- l’éducation reçue (parents puis tous les adultes) première représentation du monde.
- la culture dans laquelle nous baignons : religion, tenue vestimentaire….
- les histoires de notre communauté et petites histoires (secrets de familles)
- les événements : tsunami, guerre
- les rencontres : enseignants…
Les questions à TGA
- Quels sont les jeunes sujets au trafic ?
Ce sont principalement les jeunes qui ont quitté l’école dès le collège mais avant 16ans. Ils n’ont pas les codes sociaux au collège. Ils se mettent à dos tout le monde. Exclusion. Bien souvent se sont des élèves transparents.
- Ados pas eu de rite de passage ? Que faire avec les éducateurs ?
Il est important pour l’éducateur de redonner à l’adolescent une certaine valeur et qu’il puisse la reconnaître.
Exemple dans un collège: des élèves de SEGPA étaient stigmatisés et le prenaient mal. Le professeur connaissait quelques tours de magie. Les élèves ont souhaité les apprendre et ont monté un spectacle. Ce projet les a mis en valeur et les problèmes de stigmatisation ont été résolus.
Autre exemple: Dans une Association de réintégration par la cuisine permet à certains jeunes de trouver un espace pour rencontrer d’autres adultes dans un contexte différent. Lors d’un repas organisé et préparé par les jeunes, l’animatrice à passer une musique à la fin du repas qui n’était autre que « we are the champions » de Queen. Les jeunes se sont redressés car les mères les ont pris pour chanter et danser.
- Pourquoi y existe-t-il un tel décalage dans le temps avec les recherches ?
En général les ministères sont très lents.
Par exemple en Suisse, le problème à travailler étaient les passages à la classe supérieur. Le fait de faire venir des chercheurs dans des écoles a résolu le problème.
- Quelle place de l’Egalité homme/femme dans les établissements ?
Il est important d’en parler aux collégiens mais il est important d’avoir vu les parents et profs avant. Sinon il risque d’en naître des conflits de loyauté qui est l’une des premières causes de l’échec scolaire.
- Les rituels doivent-ils être réguliers?
Il n’y a pas de nécessité à le faire de manière répétée. Exemple: certains élèves d’IMP du primaire ne souhaitent pas aller dans l’IM pro. Le simple fait de réaliser une « fête de passage » a permis de valoriser le passage des petits chez les grands en IMP vers IM pro. Les enfants de l’IMP on désormais envie d’aller à l’IMP pro.
- Quand des jeunes se mettent en position de risque. Comment les remettre en chemin, comment donner du sens aux apprentissages ?
Le décrochage est souvent dû au fait que les jeune ont l’impression l’impression qu’ils n’ont pas le choix, que les propositions que l’on leur faits sont par défaut.
- Comment redonner du sens à l’adolescent?
Il est nécessaire de restaurer une certaine confiance en les encourageant par exemple: « Alors là, respect! »
Une recette coquine pour s’adresser à un jeune, c’est de vieillir , « la sagesse » de l’âge.
Il est important de favoriser l’intergénérationnel et de trouver les personnes en lesquelles les jeunes ont confiance.
- On dit souvent que le cerveau chez l’adolescence n’est pas finit. Quel lien avec le suicide?
Il n’y a pas forcément plus de suicides des jeunes par rapport à avant, mais les tentatives sont en hausse. D’ailleurs Durkheim parlait déjà d’état d’anomie. C’est bien la perte des liens sociaux qui amène au suicide. Il faut mettre en parallèle aux d’anomie en fonction du taux de suicides. Un adulte ne se loupe pas en général, donc il y a beaucoup de tentatives chez les jeunes qui n’aboutissent pas.
Il faut être plus inquiet de la situation qui se passe chez les filles. Le garçon qui va mal a l’impression d’avoir des amis mais les filles l’impression de ne pas en avoir
Nous sommes dans des sociétés qui isolent les individus.
- Lors de phobies scolaires : comment accompagner à un retour à la scolarité?
Il est nécessaire dans un premier temps de trouver un lieu qui n’est pas « rattaché » à l’école puisque la phobie vient souvent des relations avec les pairs.
Exemple: Maison des ados en lien avec le rectorat : 6 jeunes pris en charge. Cette maison permet de proposer un entre-deux hors l’école mais qui permet de faire le lien pour un retour en douceur vers la structure école.
Pour les filles un accompagnement psy reste primordial.