La mission des députés Cécile Rilhac (Renaissance) et Rodrigo Arenas (LFI) a rendu ses conclusions sur « le recrutement, l’affectation et la mobilité des enseignant.e.s du 1er degré » le 23 novembre dernier.
On comprend pourquoi le mot « formation » est absent du titre du rapport : les deux députés n’ont manifestement aucune connaissance précise de l’actuel mode de formation des enseignant.e.s et quelques-unes de leurs propositions reposent au mieux sur des clichés totalement erronés, au pire sur des préjugés idéologiques inquiétants.
Les préconisations des députés Rilhac et Arenas sur le recrutement des enseignant.e.s du premier degré donnent une lecture mécanique du problème.
Il ne suffit pas d’« actionner des leviers » (sic) pour « pour attirer davantage vers cette profession magnifique et indispensable. »
Dans un premier temps, il faudrait déjà assurer la stabilité du dispositif de formation et faire enfin confiance aux équipes de formatrices et de formateurs qui travaillent dans les Inspé et dans les universités.
Un décrochage premier – second degré
« Engager une réflexion sur le déplacement du concours en fin de troisième année de licence » (proposition n°3), uniquement pour les enseignant.e.s du premier degré, c’est revenir trente ans en arrière, avant 1990, quand les professeurs des écoles étaient des institutrices ou des instituteurs et que le niveau de recrutement était différent entre le premier degré et le second degré.
Remettre le concours en L3 uniquement pour les professeurs des écoles, c’est revendiquer, inéluctablement, un décrochage premier – second degré. Inacceptable pour le SGEN-CFDT !
Les rapporteurs de la mission s’en défendent en prétendant que la titularisation resterait subordonnée à l’obtention d’un master, tout comme celle des enseignant.e.s du second degré. On a du mal à suivre leur raisonnement.
S’il faut repenser le recrutement pour élargir le vivier des candidat.e.s et faciliter l’entrée dans le métier, la place du concours n’est pas le seul élément de réponse : c’est aussi le contenu des épreuves qui comptera et qui devra s’adapter à la fois à la formation préalablement reçue des candidat.e.s et à leurs compétences acquises lors d’expériences professionnelles antérieures.
Mais le rapport ne dit rien là-dessus et qui veut se débarrasser de son chien l’accuse de la rage : un concours en fin de M2 rend actuellement la vie impossible aux étudiant.e.s en alternance au sein du master MEEF parce qu’ils / elles ont à la fois un master à valider, une classe à préparer, des épreuves de concours à réviser, une perte de salaire d’un an. C’est vrai !
Mais qui porte la responsabilité d’une telle situation ? Pourquoi les épreuves du CERPE depuis la session 2022 sont-elles totalement déconnectées du métier de professeur des écoles et de la formation reçue dans le master MEEF 1er degré ? Qui a décidé de précariser les étudiant.e.s engagées en alternance dans le master MEEF parce que le contrat proposé est de seulement 12 mois sur les 24 mois de formation pour une rémunération misérable de 722 euros nets par mois ? Qui a décidé de faire de ces étudiant.e.s des moyens d’enseignement alors qu’ils/elles sont en formation initiale ?
Le SGEN-CFDT avait conditionné le passage du concours du M1 au M2 si et seulement si les nouvelles épreuves étaient en nombre limité et plus professionnalisantes, si l’alternance en master MEEF était rémunérée sur deux ans et si les étudiant.e.s étaient des moyens de remplacement pour permettre aux titulaires de repartir en formation continue.
On est loin du compte et cette réforme a donné le fiasco que le SGEN-CFDT avait immédiatement dénoncé.
Concours en fin de L3 : miroir aux alouettes
La solution miracle aujourd’hui pour endiguer l’hémorragie du recrutement serait donc de replacer le CERPE en fin de L3, ce qui n’est plus sa place depuis la mastérisation en 2010.
Incroyable marche arrière qui ferait peser sur la dernière année de licence les mêmes problématiques que celles qui pèsent actuellement sur l’année de M2 : une année où il faudrait, à la fois, valider un diplôme universitaire, pour le coup déconnecté des problématiques professionnelles du métier de professeur des écoles (ce qui n’est pas le cas du master MEEF), tout en préparant un concours aux épreuves nécessairement académiques.
On peut aussi faire l’hypothèse que la majorité des étudiant.e.s auront besoin d’une « année blanche » pour finalement préparer le CERPE après leur licence. On reperdrait donc une année là où on croit nous en avoir fait gagner deux…
A la lecture du rapport, on ne comprend pas plus le statut qu’auraient ces lauréat.e.s pendant « les deux années de professionnalisation rémunérée » en master qui suivraient l’obtention du concours.
Et nous n’avons pas plus d’informations sur la hauteur de cette rémunération. Si on envisage à l’avenir de rémunérer ces lauréat.e.s-étudiant.e.s contractuel.le.s pendant les deux ans du master, pourquoi ne pas l’avoir fait depuis 2021 ?
Et quand on saisit qu’après l’obtention du master, ces lauréat.e.s commenceraient enfin leur année de fonctionnaire-stagiaire, il se sera passé finalement trois ans entre l’obtention du concours et la titularisation qui n’est en rien automatique.
Ce n’est plus une vocation, c’est un chemin de croix !
L’universitarisation des professeurs des écoles remise en cause
On aura compris que derrière cette proposition de redéplacer le concours pour la cinquième fois en moins de quinze ans, c’est en fait le dispositif de formation des enseignant.e.s du premier degré qui est attaqué.
La proposition n°2 d’« engager une réflexion sur le développement d’écoles de formation, éventuellement dès la fin du lycée » (proposition n°2) essaie de contourner le processus d’universitarisation enclenché pour le premier degré depuis 1990 avec les IUFM pour nous replonger au temps révolu des écoles normales et des pré-recrutements au niveau bac. La mastérisation en 2010 et la création des ESPE et du master MEEF en 2013 ont répondu au besoin de qualification croissante des enseignant.e.s dans le cadre d’une formation universitaire diplômante et professionnelle.
Les rapporteurs de la mission ne l’ignorent pas. C’est pourquoi ils proposent le montage incohérent d’un double dispositif : un concours académique en L3 suivi d’une formation dans un master exclusivement professionnel pour le premier degré tandis que le second degré conserverait le concours de recrutement en M2 après un master plus disciplinaire. On continue bien à parler des Inspé mais leur caractère universitaire, pour le premier degré en tous cas, est manifestement subordonné aux injonctions de l’employeur.
Malgré trente ans d’efforts pour rapprocher les cultures du premier et du second degré, certains ne sont toujours pas sortis de cette conception archaïque du métier d’enseignant : au professeur des écoles, les compétences professionnelles ; au professeur du collège et du lycée, la maîtrise des savoirs académiques.
Le SGEN-CFDT, parce qu’il est un syndicat général, de la maternelle à l’université, sait bien que ce clivage est dépassé. Il a d’autres propositions pour réfléchir à l’attractivité du métier.