Suite à l’audition de nos représentants, mandatés par la Fédération Sgen CFDT, lundi 2 octobre par les députés Mickael Bouloux et Jean-Marc Tellier, rapporteurs spéciaux du domaine de la recherche, pour la commission des finances de l’Assemblée nationale. Nos réponses et notre déclaration finale.
L’audition du Sgen-CFDT à l’Assemblée nationale permet de faire le point sur l’actualité de recherche en rappelant également les positions du Sgen-CFDT sur les sujets d’actualutés : LPR; pouvoir d’achat, rapport Gillet, financement de la recherche….
Point sur l’avancée des mesures LPR de revalorisation des personnels de la recherche depuis septembre 2022. Etes-vous satisfaits de ces avancées ? Sont-elles suffisantes ?
La signature par la CFDT en 2020 du Protocole d’Accord Relatif à l’amélioration des Rémunérations et Carrières (PARC) a permis une évolution statutaire sans précédent depuis le décret fondateur de 1983 !
Sur le plan statutaire d’abord, avec :
- la création du Régime Indemnitaire pour les Chercheur.e.s (RIPEC) qui a permis une augmentation historique de la prime statutaire de recherche (C1) ; la fusion des grades des Chargés de Recherche CR2/CR1, avec la création de la Hors Classe, l’ajout de 2 échelons Hors Échelle et le repyramidage des grades des CR et des Directeurs de Recherche (DR).
Sur le plan des rémunérations ensuite , avec :
- la revalorisation des socles du Régime Indemnitaire tenant compte des Fonctions, des Sujétions, de l’Expertise et de l’Engagement Professionnel (RIFSEEP) pour les Ingénieurs et Techniciens ; avec la fusion des grades IR2/IR1, IE1/IEHC et le prolongement de la grille des IECN et IEHC, sont autant d’avancées au bénéfice des agents des ONR ainsi que pour l’ensemble des personnels de l’ESR.
Cependant, l’indigence de leurs enveloppes budgétaires conduit les organismes nationaux de recherche (ONR) à prendre des demies mesures, par exemple au CNRS l’attribution de la prime individuelle (C3 du RIPEC) à tous les chercheurs ayant reçu un avis favorable lors de leur évaluation n’a pas été appliquée. On lui a préféré un saucissonnage en plusieurs vagues induisant défiance et frustrations. De même, la fusion des grades du corps des Ingénieurs de Recherche et son repyramidage ne s’est accompagné d’aucune augmentation de salaire, ne laissant aux agents que des perspectives à plus ou moins long terme.
Sur le plan indemnitaire, ces mesures arrivées bien trop tard, au regard de la dégradation des rémunérations du secteur public, ne parviennent ni à combler le déficit de pouvoir d’achat accumulé depuis des décennies, ni à rattraper l’écart indiciaire entre des agents des ONR et ceux de l’Enseignement Supérieur, nous sommes bien loin de l’équilibre. Enfin, l’étalement de la progression des salaires dans la durée (jusqu’en 2027) est anéanti par l’inflation.
Que proposez-vous pour renforcer l’attractivité des métiers de la recherche ?
Ce ne sont ni les chaires de professeurs junior (CPJ) ni les CDI de chantiers qui résoudront les tensions sur les métiers de la recherche. Ces « cautères sur jambe de bois » déstabilisent les collectifs de recherche en induisant des disparités salariales et de traitement. Elles répondent à une vision néolibérale de l’emploi, issue de l’industrie, très éloignée du monde académique. Pour faire court, on ne fait pas de recherche au pays des Lumières pour devenir riche ! Il convient toutefois de pouvoir vivre dignement en élevant sa famille et de jouir d’un statut social qui répond à l’investissement des années d’études et de formation. Le Sgen-CFDT défend depuis toujours le recrutement d’agents titulaires de la fonction publique et la revalorisation des salaires, seuls moyens efficaces de répondre aux attentes des jeunes diplômés. La stabilité est fondamentale pour une recherche publique de qualité !
Qu’attendez-vous, qu’espérez-vous de la clause de revoyure de la LPR prévue en 2023 en application de son article 3 ? En particulier, son efficacité pour relancer la recherche en France a-t-elle souffert de l’inflation ?
Rien d’un texte auquel nous étions opposés ! Nous considérions alors et, considérons toujours, qu’il s’agit d’une promesse molle car non contraignante ni pour l’Exécutif ni pour le Parlement, comme toute loi de programmation, à laquelle se substitue la Loi de Finance annuelle, seule véritable engagement de l’Etat. Nous revendiquions alors et, toujours depuis, l’application de la stratégie de Lisbonne élaborée en 2000 qui plaide pour une R&D à 3% du PIB (Administrations et entreprises) et 1% du PIB pour la recherche publique.
Pour emprunter une métaphore marine, force est de constater que la côte s’éloigne plutôt qu’elle ne se rapproche ! L’effort de recherche en France peine à dépasser les 2% du PIB, comme le démontre une note flash (26/09/23) du Service statistique ministériel de l’ESR : « l’effort de recherche s’élève en 2021 à 2,22 % contre 2,28 % en 2020, l’augmentation estimée pour 2022 serait moins élevée que celle du PIB (+2,5 % en volume). Ainsi, selon cette note « l’effort de recherche baisserait, passant de 2,28 % en 2020 à 2,18 % en 2022 ». Il ne reste qu’à ajouter les effets délétères de l’inflation à ce tableau pitoyable pour compléter notre vision de la situation.
Enfin, nous attirons votre attention sur l’évolution du PIB national comme « étalon » de l’effort de recherche français. Bien que nous soutenions les ambitions du protocole de Lisbonne, le temps écoulé depuis nous interroge. Que signifie encore l’indexation sur le PIB d’un pays, dont la valeur ne cesse de s’éroder ? A titre comparatif, dans un pays et sur un continent qui ne cesse de s’appauvrir, l’écart sur 15 ans entre le PIB de la France et celui des USA est de 80% selon L’European Centre for International Political Economy de Bruxelles, repris par Le Monde ; le PIB de la France « se situe entre ceux de l’Idaho et de l’Arkansas ».
Avez-vous le sentiment d’avoir été entendu depuis un an sur les risques de développer la recherche sur projets au détriment des financements récurrents ?
Rien n’a changé, l’argent public continu d’être piloté par des agences gouvernementales et n’abondent pas les besoins en moyens récurrents des laboratoires. La dérive sémantique, qui ne distingue plus l’innovation de l’activité scientifique et que favorise la recherche sur projets, est porteuse de nombreuses dérives : l’épuisement dans la recherche de budgets, l’indigence des reliquats, les dérives déontologiques et les méconduites scientifiques qui en découlent. Cette dérive impacte également l’évaluation de la recherche : Qui doit aller vite doit, en creux, publier beaucoup !
Recherche n’est pas innovation, car la seconde naît, parfois, de la première ! Les politiques publiques qui prétendent soutenir la recherche dans les ONR inscrivent l’innovation comme l’un des attendus de la recherche qu’elles financent. Se faisant, elles ne distinguent des activités scientifiques que celles permettant d’acquérir un avantage compétitif en répondant aux attentes d’un marché. *Joseph Schumpeter, « Théorie de l’évolution économique », 1912
De plus, ces politiques induisent un biais cognitif entre l’innovation et la recherche et développement (R&D). Si la R&D constitue une vision à long terme de l’organisation dans la stratégie d’entreprise (notion plus compatible avec le principe d’une recherche sur le temps long), l’innovation s’inscrit, quant à elle, dans un modèle économique à court terme. Cette définition* consacre la R&D comme une activité prospective de la chaîne de valeur d’une entreprise quand l’innovation reste une activité de soutien. *(Michaël Porter « l’avantage concurrentiel »1986).
Revenons à l’essentiel pour une recherche citoyenne, responsable et respectueuse de ses agents, ne tournons pas le dos à l’innovation mais accordons-lui la place qui lui revient dans le champ de nos priorités, celle qui naît, parfois, de la compréhension des phénomènes observés.
Le Sgen CFDT ne s’exprimera pas sur le Rapport Gillet car nous le considérons dépourvu de nécessité. En effet, l’essentiel de son contenu était déjà connu par l’exécutif puisqu’abondamment développer par les syndicats représentatifs de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, dont le nôtre, depuis bien longtemps. On n’y découvre malheureusement rien, qu’une vision technocratique de pilotage par « le haut » à laquelle nous ne souscrivons pas. Qui de sensé ? endosserait le rôle de démiurge omniscient auprès du Ministre pour décider seul de ce que doit être la politique scientifique d’un pays ? Cette assertion ruine, à elle seule, toute crédibilité de celle et ceux qui l’énoncent.
Quel est votre avis sur les politiques en faveur de la parité mises en place dans le monde de la recherche ? Vous semblent-elles suffisantes ? Que proposez-vous en la matière ?
Si l’on peut se réjouir de l’existence d’un plan d’action pluriannuel pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations, il est difficile d’en mesurer l’impact réel faute de remontée de données des établissements.
Par ailleurs un plan c’est bien mais des actions c’est mieux ! Sans portage politique aucune avancée ne sera possible. Cela implique que cette dimension de l’égalité professionnelle doit être intégrée systématiquement aux études d’impacts avant l’adoption et le déploiement des politiques publiques, tant au niveau national que des établissements (régimes indemnitaires qui favorisent les fonctions masculines, réforme du lycée qui assèche les viviers de filles dans les filières scientifiques…).
Tout reste à faire… mais la volonté politique est-elle là ?
Déclaration des représentants du Sgen-CFDT
Maintenant, Messieurs, les députées allons au fond des choses, nos discussions convenues aux portes de l’hémicycle ne sont sans doute pas inutiles, cependant elles ignorent le vrai sujet.
Il ne vous aura sans doute pas échappé que, depuis une dizaine de jours, plusieurs grands noms de la science française et un ancien capitaine d’industrie ont signé des tribunes dans la presse nationale. Chacun d’eux, à sa manière vous interpelle !
Les premiers, Louis Gallois et Pierre Papon, pour éviter le déclassement de la France en matière de recherche, appellent les pouvoirs publics à investir 20 milliards d’euros/ans dans notre outil de recherche.
D’autres, Alain Aspect et Eric Karsenti, appellent les mêmes pouvoirs publics à investir, cette fois, tous nos moyens pour un plan « Manhattan de la Transition écologique » dont l’objectif serait de préparer l’adaptation de nos modes de vies aux changements qui s’annoncent en réunissant ensemble les meilleurs scientifiques mondiaux et les Industriels.
Ces déclarations font sans doute écho à la parution le 13 septembre dernier, dans Science , d’un article qui semble réunir un consensus mondial et qui indique que, parmi les 9 limites permettant au système Terre de ne pas basculer dans le chaos, 6 ont été dépassés (Les seuils en question concernent notamment l’effondrement de la biodiversité, les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, la mort des sols, l’acidification des océans, la pollution atmosphérique, le cycle de l’eau douce et le bouleversement climatique).
Ce qui doit motiver toute votre attention, Messieurs les parlementaires, c’est qu’il ne s’agit plus de sauver notre mode de civilisation mais rien de moins que de préparer nos concitoyens à vivre à l’Anthropocène et à s’adapter aux nouvelles règles qui vont nécessairement advenir.
Ceci va couter beaucoup plus cher que le financement de la LPR ! Nous avons collectivement le devoir de préparer cette transition civilisationnelle, vous les élus du peuple, nous les partenaires sociaux et toutes les forces vives de la Nation qui voudrons se joindre à l’effort collectif.
La CFDT s’est déjà engagée, depuis 2018, avec son Pacte Pouvoir de Vivre qui construit, avec plus de 60 ONG, un schéma de transition écologique, couplé à une transition sociale et sociétale. Nous ne sommes pas les seuls et, nous appelons à l’union, pour parvenir à relever ce défi, pour nous, mais surtout pour que l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants soit moins sombre que si nous ne faisions rien.