Face à un contexte sanitaire qui change, les frustrations, voire les critiques sans discernement contre l'Ecole et ses personnels fusent. Les fédérations FEP-CFDT et Sgen-CFDT reviennent sur le sujet, et rappellent les étapes par lesquelles nous sommes passés.
Depuis le début de la réouverture des écoles, et plus encore depuis quelques jours, une incompréhension parfois conflictuelle monte entre la population et son École. Alors que les règles de déconfinement et de vie en société s’assouplissent progressivement, l’École conserve un protocole sanitaire élaboré au tout début du mois de mai qui contraint fortement le nombre d’enfants que l’École peut accueillir.
Cette situation est devenue problématique pour beaucoup de familles et pour les personnels de l’Education nationale qui ne peuvent pousser les murs. Elle n’incombe pas directement aux personnels dans les écoles, collèges et lycées et ne peut être compensée partout par l’extension d’un accueil périscolaire complétant les temps d’enseignement collectifs.
Rouvrir progressivement les écoles alors que l’épidémie était encore virulente : un protocole alors adapté à la situation
Si l’époque est à la critique facile et sans nuance, à l’oubli des étapes précédentes, il n’est pas inutile d’y revenir.
Au moment de l’annonce de la réouverture des écoles à partir du 11 mai 2020, le contexte sanitaire était encore à une forte circulation du virus, à un nombre quotidien de décès important. A la veille de l’ouverture des écoles, plusieurs régions étaient classées rouges.
La protection des personnes en termes de santé et de sécurité était primordiale et d’ailleurs peu discutée dans son principe. Mais, comme pour les autres secteurs professionnels, la CFDT et ses fédérations FEP et Sgen auraient accepté des modalités de reprises différenciées territorialement selon la circulation du virus, et l’état du système hospitalier localement : il était sans doute possible de reprendre le travail en présentiel pour les élèves et les personnels davantage dans les régions vertes que dans les régions rouges. Le gouvernement n’a pas fait ce choix.
En entretenant, l’idée que l’accueil scolaire était possible largement, le gouvernement a nourri des incompréhensions, des conflits entre les personnels de l’Éducation nationale et les familles.
La CFDT, ses fédérations FEP et Sgen demandaient que le gouvernement porte publiquement l’explication des contraintes imposées par le protocole sanitaire qui réduisaient les capacités d’accueil scolaire par les écoles, les collèges et les lycées. Nous demandions qu’en conséquences les parents d’élèves soient protégés quant aux conséquences d’un retour partiel de leurs enfants dans la scolarité en présentiel.
En entretenant, l’idée que l’accueil scolaire était possible largement, le gouvernement a nourri des incompréhensions, des conflits entre les personnels de l’Éducation nationale et les familles. La volonté de développer un accueil périscolaire visait à compenser cette impossibilité à accueillir scolairement plus d’enfants. Cependant cela n’a pas été construit avec l’ensemble des acteurs et il ne suffit pas de le proclamer médiatiquement pour que les acteurs locaux puissent le faire. Il peut manquer des lieux, des personnels pour développer un accueil périscolaire des enfants.
En peu de temps, des évolutions importantes du contexte sanitaire
Le contexte sanitaire, économique et social a évolué, le 11 juin n’est ni le 13 mars, ni le 11 mai :
- les moyens pour endiguer des redémarrages épidémiques éventuels sont désormais en place : disponibilité de masques, capacités à tester la population, à repérer les cas contacts…,
- les connaissances sur la maladie ont considérablement évolué,
- le fort ralentissement de la circulation du virus voire l’absence du virus sur certains territoires modifie la cartographie de l’épidémie,
- Les règles sanitaires dans les autres sphères de la société évoluent au fil de l’eau.
Or le protocole sanitaire à l’Éducation nationale n’est pour le moment pas adapté à cette nouvelle donne et bloque la possibilité même pour les établissements scolaire de scolariser de nouveau en présentiel davantage d’enfants sur un temps plus proche du temps scolaire normal. Cela créée un désajustement délétère entre la population et son École.
le protocole sanitaire à l’Éducation nationale n’est pour le moment pas adapté à la nouvelle donne.
Alors que la liberté d’aller et venir, de se retrouver s’élargit, il devient incompréhensible pour nombre de parents que l’école ne puisse faire évoluer son organisation. C’est source de tensions car les salarié.e.s sont fragilisé.e.s dans leur emploi, perdent de la rémunération lorsqu’ils et elles ne peuvent reprendre une activité présentielle ou à distance plus importante et plus sereine.
Faire évoluer les conditions d’accueil scolaire des enfants : une réorganisation qui ne se fait pas instantanément
Il convient donc de permettre une évolution du protocole sanitaire à l’Éducation nationale et de donner du sens pour les personnels, les élèves et les familles à cette évolution et au travail réalisé avec les élèves d’ici à la fin de l’année scolaire. Il faut l’anticiper car pour bien accueillir davantage d’élèves, il faut réorganiser le temps scolaire, cela ne peut se faire avec une annonce médiatique et sa mise en œuvre immédiate. Il faut que les équipes des établissements aient le temps de la réorganisation des groupes d’élèves, du temps scolaire et de l’information des familles.
La réorganisation du temps scolaire ne peut se faire avec une annonce médiatique et sa mise en oeuvre immédiate.
Les aménagements des examens ayant été faits, l’énergie des personnels doit être tournée vers l’accompagnement des élèves, de tous les élèves, afin qu’ils puissent toutes et tous reprendre le fil de leur parcours scolaire entre le début d’année scolaire, la phase de confinement, la phase de réouverture partielle, cette fin d’année scolaire et ce, dans la perspective de l’année 2020-2021.
Il s’agit aussi de permettre aux élèves de renouer avec le cadre collectif, c’est un enjeu fort de socialisation et de cohésion sociale après de longues semaines pendant lesquelles les enfants et les jeunes ont vécu très différemment la fermeture de leur établissement scolaire compte-tenu de leurs conditions de vie. L’énergie du système éducatif doit être tournée vers ces objectifs qui permettront de préparer la rentrée de septembre dans les meilleures conditions possibles quelles que soient alors les conditions de fonctionnement possible des établissements scolaires.
Articuler présentiel et distanciel, préparer l’Ecole de septembre 2020 avec les incertitudes
Depuis le 16 mars, les enseignant.e.s dans leur immense majorité (au moins 95% d’après le ministère de l’Education nationale) ont assuré l’enseignement à distance. Depuis le 11 mai, certain.e.s exercent en présentiel, d’autres à distance (impératif alors que le retour en présentiel des enfants est limité par les consignes ministérielles et parfois par le choix des familles), d’autres encore font en réalité les deux en ce moment.
Cependant, Il reste des incertitudes pour septembre. Il y a des clusters en France qui imposent parfois des fermetures localisées d’établissements scolaires.
Il faut donc préparer la rentrée de septembre en anticipant différents scenarii, donner des marges de fonctionnement et d’organisation aux écoles, collèges et lycées pour que les équipes puissent s’adapter au contexte sanitaire local.
Continuer à adapter notre École au risque épidémique…
Il faut donc continuer à adapter notre École au risque épidémique. Cela suppose de poursuivre la formation des personnels et des élèves à la fois sur les gestes barrières ou protecteurs, l’hygiène (et si cette crise permet enfin d’avoir des sanitaires dignes de ce nom dans toutes les écoles, collèges et lycées, ce sera clairement un gain), sur les outils et méthodes d’enseignement et d’étude à distance (et cela suppose aussi des investissements pour l’équipement des personnels, des élèves, et la sécurisation d’un accès à internet pour toutes les familles, et l’accès à des outils numériques sécurisés).
Si de nouveau il n’était pas possible ici ou là, ou sur une période donnée, d’accueillir pour un enseignement scolaire collectif tous les élèves en même temps, l’organisation d’un accueil périscolaire doit être construite avec les collectivités locales. Mais cela supposera des financements, et un dialogue social pour que cela prenne place dans les projets éducatifs de territoire et ne constitue pas une externalisation rampante par exemple des enseignements artistiques et de l’éducation physique et sportive.
Refusons pour l’Éducation nationale comme pour les autres métiers de jeter l’opprobre sur toutes et tous…
Notre société a besoin de son École : pour la formation des jeunes, pour leur socialisation, pour la cohésion sociale. L’épidémie de Covid19 a bousculé son organisation. Ses personnels ont modifié leur manière de travailler pour conserver le lien pédagogique avec les élèves, ont cherché par tous les moyens à contacter les élèves qui ne donnaient pas de nouvelles.
Redisons-le, ils et elles l’ont fait dans leur immense majorité. Refusons pour l’Éducation nationale comme pour les autres métiers de jeter l’opprobre sur toutes et tous à partir de quelques personnels qui n’ont peut-être pas réussi à réaliser ce que la société attendait d’eux, mais cherchons aussi à comprendre pourquoi, en quoi leur travail a été empêché par le contexte, peut-être par insuffisance de leur formation continue, de cadre de travail collectif.
Loin du profbashing ou de l’Éducation national bashing, analysons les difficultés et cherchons les voies permettant de les surmonter pour que l’École puisse poursuivre ses missions au service de la population, pour l’émancipation de la jeunesse et contre la reproduction des inégalités.